Des routes départementales déclassées et requalifiées en voies vertes

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Sophie POUILLY 22/11/2023 ACTU VÉLO

Expérimentation dans la Manche  Le département de la Manche lance une expérimentation sur des petites routes départementales qu’elle va déclasser et requalifier en voies vertes. La première voie requalifiée est la D535, sur la commune de Saint-Sauveur-Villages, au nord de Coutances à partir du 10 novembre, sur laquelle la fréquentation est estimée à environ 200…

Expérimentation dans la Manche 

Le département de la Manche lance une expérimentation sur des petites routes départementales qu’elle va déclasser et requalifier en voies vertes. La première voie requalifiée est la D535, sur la commune de Saint-Sauveur-Villages, au nord de Coutances à partir du 10 novembre, sur laquelle la fréquentation est estimée à environ 200 véhicules/jour. 

Dans la Manche, des petites routes départementales seront bientôt réservées aux vélos et aux piétons – France Bleu 

Une seconde route sera requalifiée le 28 novembre sur la commune de Dragey-Ronthon, entre Granville et Avranches : 

Manche : une départementale près du Mont-Saint-Michel transformée en voie verte (francetvinfo.fr

Manche : Quand les routes départementales devienne des voies vertes

CP du Départemental : Requalification d’un RD en voie verte

L’exemple de Jersey 

Le département de la Manche déclare s’inspirer des “green lanes” mises en place à Jersey. Sur cette île anglo-normande visible depuis la côte, un véritable réseau de “green lanes”, que l’on pourrait traduire par rues ou routes vertes, s’est constitué depuis 1994. Disposant d’une législation propre, ces “green lanes” donnent la priorité aux piétons, cyclistes et cavaliers sur les véhicules motorisés et sont repérables grâce à un panneau spécifique. La vitesse maximale a été fixée à 15 miles/h, soit 24 km/h, ce qui correspond à la vitesse maximale autorisée des vélos à assistance électrique.

Certaines “green lanes” étant devenues au fil du temps des raccourcis pour éviter les embouteillages, un amendement a été voté en juillet 2020 pour que les seuls riverains puissent emprunter ces voies et éliminer le trafic de transit.  

Cars to be banned from country lanes except for ‘essential’ travel | Bailiwick Express Jersey 

Quand on regarde le code de la route jersiais et plus particulièrement ce qui concerne les cyclistes, on s’aperçoit qu’il existe : 

  •  L’équivalent de nos bandes cyclables obligatoires ou conseillées (mandatory or advisory cycle lanes); c’est-à-dire un espace réservé aux cycles, sans séparateur physique, marqué au sol par une ligne blanche (continue pour les bandes obligatoires, pointillée pour les bandes conseillées) et un pictogramme “vélo”. Les véhicules motorisés ne peuvent emprunter les bandes obligatoires, mais peuvent manœuvrer sur les bandes conseillées si nécessaire.  
  • L’équivalent de nos pistes cyclables (segregated use); c’est-à-dire une piste réservée à la circulation des cycles, séparée à l’aide d’une barrière physique. 
  • L’équivalent de nos voies vertes ; c’est-à-dire des itinéraires réservés à tous les modes non motorisés (multi use),  
  • Des cheminements mixtes piétons-cyclistes séparés des véhicules motorisés (shared use path); cyclistes et piétons peuvent être séparés ou non, à l’aide d’une ligne blanche ou tout autre dispositif.  
  • Et les “green lanes”, petites rues/routes dont la vitesse est limitée à 24 km/h et sur lesquelles les véhicules motorisés doivent laisser la priorité aux piétons, cyclistes et cavaliers en tout temps : 

Cycling routes and journey planning (gov.je) 

Il n’existe actuellement pas d’équivalent à ces “green lanes” ni en France ni au Royaume Uni. Un cabinet d’études britannique, à la demande du gouvernement de Jersey, qui ambitionne de remettre en selle ses habitants pour les trajets du quotidien, s’est penché sur cet exemple. Selon eux, le sentiment de sécurité est bien plus fort sur ces “green lanes” que sur les “quiet lanes” (que l’on pourrait traduire par rues tranquilles et qui sont d’ailleurs appelées “ruettes tranquilles” sur l’île voisine de Guernesey) qui sont des chaussées à faible trafic (moins de 1 000 véhicules/jour) sans autre réglementation particulière et qui n’ont pas non plus d’équivalent chez nous. 

Le concept des voies vertes et des vélorues 

Revenons donc en France. La Manche mais aussi le Calvados veut prendre exemple sur l’ile voisine de Jersey et requalifier certaines départementales en “voies vertes”. Mais qu’est-ce qu’une voie verte en France ? L’article R110-2 du Code de la Route la définit ainsi :  

Route exclusivement réservée à la circulation des véhicules non motorisés à l’exception des engins de déplacement personnel motorisés, des cyclomobiles légers, des piétons et des cavaliers. Par dérogation, les véhicules motorisés mentionnés à l’article R. 411-3-2 peuvent également être autorisés à y circuler dans les conditions prévues au même article” (Article R110-2 – Code de la route – Légifrance (legifrance.gouv.fr)) 

Cet article a été modifié par décret le 22 avril 2022 via l’article R411-3-2 qui précise :  

Les règles de circulation définies à l’article R. 110-2 sont rendues applicables par arrêté de l’autorité détentrice du pouvoir de police. Dans les conditions qu’elle détermine, les véhicules motorisés utilisés par une catégorie d’usagers qu’elle définit, ou par les titulaires d’une autorisation individuelle qu’elle délivre, peuvent, par dérogation, être autorisés à circuler pour accéder aux terrains riverains, sous réserve de respecter la vitesse maximale autorisée qu’elle fixe et qui ne peut excéder 30 km/ h.” (Article R411-3-2 – Code de la route – Légifrance (legifrance.gouv.fr)) 

L’AF3V se félicitait que cette dérogation puisse faciliter le passage en voie verte d’un chemin de halage ou d’une impasse avec 1 ou 2 riverains par exemple, mais alertait déjà sur la possibilité donnée aux collectivités d’aller au-delà de cette dérogation et de dévoyer ainsi le concept même des voies vertes : 

Un décret pour faciliter le développement des voies vertes | AF3V 

Le décret est clair : la dérogation est accordée uniquement pour accéder aux propriétés riveraines (habitants mais aussi toute personne amenée à se rendre chez ces riverains, par exemple leurs visiteurs mais aussi les facteurs, médecins, livreurs, éboueurs, pompiers etc). Quelle seront la nature et le degré des restrictions de la circulation automobile sur les routes déclassées de la Manche ? L’AF3V félicite le département qui prend l’exemple de Jersey pour développer son propre réseau de “green lanes”. En revanche, elle met en garde sur le terme utilisé qui va semer la confusion dans les esprits.  Une “green lane” n’est pas une voie verte. La logique voudrait que l’on copie ce qui se fait à Jersey où les deux concepts existent et bénéficient de deux termes distincts et de deux législations distinctes. On ne peut pas voir coexister des voies vertes excluant tout trafic motorisé et des voies vertes sur lesquelles circulent des voitures et des camionnettes sur plusieurs kilomètres. Comment pourra-t-on distinguer une “vraie” voie verte et une voie verte dévoyée puisque ces 2 types de voies auront le même panneau ? En France, recourir à ce décret met en lumière un manque dans la boite à outils contenant les aménagements favorables aux modes de déplacement actifs.  Les collectivités qui souhaitent déclasser des voies à faible trafic pour les transformer en chaussées apaisées avec priorité aux modes actifs et limitation de vitesse doivent pouvoir disposer d’un autre outil que le décret R411-3-2, qui n’a pas été envisagé en première intention pour cela. Le concept de vélorue, très proche, existe, mais il est surtout pensé pour les zones urbaines et est très peu connu et déployé : 

Concevoir sa vélorue : pour des cyclistes en nombre dans une circulation apaisée | Cerema 

Les solutions envisagées  

Dès lors, que pouvons-nous faire ?  Il est tout à fait possible d’élargir le concept de la vélorue et de l’adapter aux zones rurales pour en faire un type de voie partagée mais sécurisée pour les modes actifs. Ou de créer un nouveau type de voie en France en s’appuyant sur l’exemple jersiais et de lui donner un cadre.

Nous allons donc plaider en ce sens auprès du Cerema pour trouver la meilleure adaptation française possible des “green lanes”, puis, le cas échéant, pour leur intégration au code de la route français, avec une législation et une signalétique propre auprès de l’IISR (Instruction Interministérielle de la Signalisation Routière). Conservons l’expression “voies vertes” pour les aménagements entièrement dédiés aux modes de déplacement actifs et trouvons un autre terme pour désigner l’équivalent des “green lanes” jersiaises. Voies partagées apaisées ?  Chaussées apaisées partagées ? Voies à trafic limité ? Quelle que soit la dénomination retenue, il convient d’agir dès maintenant pour éviter tout amalgame et maintenir le concept même de voie verte. Et donner aux collectivités un outil clairement défini leur permettant de créer de vrais réseaux sécurisés articulés autour des modes de déplacement actifs. 

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